Buts de l’exposé :
parcourir l’affaire des sadomasochistes belges afin de rendre possible sa lecture à la lumière de l’exposé d’Isabelle du 28 septembre et de la discussion weblog qui a suivi.
essayer de dégager ce qui a fait hésiter et décider les différents juges aux différents niveaux de juridiction: c.-à-d. voir comment ils ont rendu décidable ce cas particulier à lumière de leur contraintes; comment ils ont mis en scène juridiquement l’affaire; ce par quoi ils se sont senti tenu ou non
regarder également certains commentaires de l’affaire, notamment celui d’un collègue pénaliste Alain De Nauw et ceux de Paul De Hert et moi-même
essayer de comprendre, à partir de ces commentaires, ce qu’est le rôle des ’rechtsgeleerden’(jurisconsultes qui produisent de la doctrine) d’une part, et ’théoriciens’ ou ’ penseurs’ du droit d’autre part
le but est de poursuivre la recherche : je vais surtout "raconter" afin que nous puissions après ensemble aller à la recherche des liens/rapports avec la question de ce séminaire : le droit et la théorie du droit sont ils des pratiques au sens que donne Isabelle à ce mot.
Chronologie
30 septembre 1997 : Cour d’Appel d’Anvers (privil?ge de juridiction)
6 janvier 1998 : Cour de Cassation (et : Cour de Cassation 25 juin 1998 : destitution du juge K.A., perte de pension de retraite)
Commentaire 1 : DE HERT, P. & GUTWIRTH, S., ‘Editoriaal : Privacy, seksuele vrijheid en sadomasochisme’, Panopticon, 1998/4, 279-286 (t?l?chargeable http://www.vub.ac.be/LSTS/pub/index.shtml)
Commentaire 2 : DE NAUW, A., ‘Les conditions g?n?rales de la sanction’, noot bij Cass. 6 januari 1998, Revue de droit p?nal et de criminologie 1999, 573-579
Voir aussi la note de A. VANDEPLAS, ‘Over sadomasochisme’, Rechtskundig weekblad 1997-98, 856
Arr?t du17 f?vrier 2005 de la Cour europ?enne des droits de l’homme, AFFAIRE K.A. ET A.D. c. BELGIQUE
Commentaire 3 : GUTWIRTH S. & DE HERT P. (2005), ’De seks is hard maar seks (dura sex sed sex). Het arrest K.A. en A.D. tegen Belgi?, Panopticon, 2005, nr. 3, 1-14 (t?l?chargeable http://www.vub.ac.be/LSTS/pub/index.shtml)
Les faits de l’affaire
Important : dans les trois phases de la proc?dure (Cour d’Appel, Cour de Cassation et Cour Europ?enne Des droits de l’Homme) la description des faits et bas?e int?gralement sur l’arr?t du juge de fond notamment, la Cour d’appel d’Anvers
Toute l’affaire se d?clenche "indirectement" : enqu?te judiciaire dans un club SM, on y trouve des vid?os …
Voir :
Paragraphe Nr.10 de l’arr?t de la CourEDH, AFFAIRE K.A. ET A.D. c. BELGIQUE
(tr?s facile ? t?l?charger : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?skin=hudoc-fr)
Paragraphe Nr. 12 reprend la structuration des faits en quatre phases, description originaire de la Cour d’Appel d’Anvers, description d’une escalade ; seuls les faits de la 4i?me phase, particuli?rement extr?me, ont donn? lieu aux condamnations.
Paragraphe Nr. 12-15 : description de cette 4i?me phase
Paragraphe Nr. 16 : pas de s?quelles durables, ? part quelques cicatrices
Paragraphe Nr. 17 : consommation de grandes quantit?s d’alcool, ’perte de contr?le de la situation’ : ’contrairement ? la norme dans ce domaine’
Int?ressant : les publication de l’arr?t de la Cour d’Appel dans le Rechtskundig Weekblad et celui de Cour de Cassation dans la Revue de P?nal ne reprennent pas la description des faits
En droit : les jugements belges de la Cour d’appel d’Anvers et de la Cour de cassation
Application des dispositions en mati?re de coups et blessures (art. 392 et 398 CP) :
Article 392 ? Sont qualifi?s volontaires l’homicide commis et les l?sions caus?es avec le dessein d’attenter ? la personne d’un individu d?termin?, ou de celui qui sera trouv? ou rencontr?, quand m?me ce dessein serait d?pendant de quelque circonstance ou de quelque condition, et lors m?me que l’auteur se serait tromp? dans la personne de celui qui a ?t? victime de l’attentat ?.
Article 398 ? Quiconque aura volontairement fait des blessures ou port? des coups sera puni d’un emprisonnement de huit jours ? six mois et d’une amende de vingt-six francs ? cent francs, ou d’une de ces peines seulement. En cas de pr?m?ditation, le coupable sera condamn? ? un emprisonnement d’un mois ? un an et ? une amende de cinquante francs ? deux cents francs ?
Selon les deux Cours il y a effectivement eu infliction volontaire de l?sions ? une autre personne: les faits pr?sentaient tous les ?l?ments constitutifs du d?lit vis? par l’article 398 CP :
pr?sence de l’?l?ment moral : le d?lit "coups et blessures" requiert une intention g?n?rale, c.-?-d. qu’il suffit de savoir que les actions sont interdites et ill?gales.
La ’bonne intention’ (procurer du plaisir) n’enl?ve pas le caract?re ill?gal de l’action
pr?sence de ?l?ment mat?riel : il y a eu des l?sions corporelles et le fait qu’elles ?taient temporaires ou superficielles n’y change rien (il y a d’ailleurs un art. 399 CP pr?vu sp?cialement ? cet effet); le consentement de la victime n’y change rien non plus : le droit p?nal est d’ordre public
Quant ? l’invocation de l’article 8 Convention europ?enne des droits de l’homme qui prot?ge la vie priv?e, les juges belges statuent qu’elle ne procure en l’esp?ce pas de cause d’excuse ou cause exon?ratoire de la peine.
M?me si les juges belges acceptent (la Cour d’Appel anversoise, n?anmoins, h?site ? haute voix, tout comme la cour de Strasbourg dans Laskey Brown & Jaggard 1997) que la sexualit? tombe sous la protection de la vie priv?e, ils consid?rent que toutes les conditions pour une ing?rence l?gitime en vertu du second paragraphe de l’article 8 CEDH sont remplies: ils d?cident notamment
que la loi (art. 398 CP) est assez claire et pr?visible
que l’ing?rence est n?cessaire et non disproportionn? aux yeux de
la morale et de la sant? publique : les raisonnements sont repris au paragraphes nr 23 et 24 l’arr?t K.A.
"23. S’interrogeant ensuite sur le caract?re punissable des faits, au regard notamment de l’article 8 de la Convention, la cour d’appel ?mit d’abord des doutes, mais sans y r?pondre, sur le point de savoir si les faits commis en dehors du domicile conjugal (phases 2 ? 4) pouvaient ?tre consid?r?s comme relevant de la ? vie priv?e ? au sens de cette disposition. Quoi qu’il en soit, elle consid?ra que la morale publique et le respect de la dignit? de la personne humaine imposaient des limites qui ne sauraient ?tre franchies en se pr?valant du ? droit ? disposer de soi ? ou de la ? sexualit? consensuelle ?. M?me ? une ?poque caract?ris?e par l’hyper-individualisme et une tol?rance morale accrue, y compris dans le domaine sexuel, les pratiques qui s’?taient d?roul?es lors de la phase 4 ?taient tellement graves, choquantes, violentes et cruelles qu’elles portaient atteinte ? la dignit? humaine et ne sauraient en aucun cas ?tre accept?es par la soci?t?. Le fait que les pr?venus continuaient de soutenir qu’il n’y avait ici qu’une forme d’exp?rience sexuelle dans le cadre du rituel du jeu sadomasochiste entre personnes majeures consentantes et dans un lieu ferm?, n’y changeait rien.
24. En outre, selon la cour d’appel, qui se r?f?rait ? cet ?gard ? l’arr?t Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, la gravit? des coups administr?s lors de la phase 4 et le danger potentiel de blessures et de l?sions qui en r?sultait justifiaient ?galement l’intervention du l?gislateur du point de vue de la sant? publique, ce qui ?tait de nature ? exclure toute tol?rance implicite du l?gislateur en la mati?re. En cons?quence, les faits en question tombaient bel et bien dans le champ d’application des dispositions en question."
important pour la suite : les Cours belges font r?f?rence au premier arr?t strasbourgeois en mati?re de sadomasochisme notamment l’ arr?t Laskey/Jaggard/Brown c. Grande Bretagne de 1997, dont ils reprennent les arguments presque litt?ralement
Le commentaire d’Alain DE NAUW, ‘Les conditions g?n?rales de la sanction’, note Cass. 6 janvier 1998, R.D.P.C. 1999, 573-579(La ’note’ ou ’observation’ est un style particulier de la doctrine juridique)
Alain De Nauw a bien r?sum?, dans son commentaire de doctrine dans la RDPC, la d?marche a proprement parler juridique, des juges belges. Cela nous aidera ? la comprendre.
Selon Alain De Nauw les juges belges se sont tenu au chapitre de la doctrine p?nale en mati?re de causes de justification, d’exemption de culpabilit?, de non-imputabilit? et d’excuse.
Les cours belges ont effectivement d?cid? qu’en l’esp?ce il y avait r?union de tous les ?l?ments constitutifs du d?lit SANS que les d?fendeurs puissent faire valoir (dans cet ordre) trois choses
1 une cause de justification : qui enl?verait l’ill?galit? de l’acte (p.ex. un ordre de la loi ou de l’autorit?, la l?gitime d?fense) (rechtvaardigingsgronden)
C’est ce qui donne une immunit? p?nale ? des activit?s accept?es comme la chirurgie, la chirurgie esth?tique, les sports violents, les piercings et les tatouages
2 une cause d’exclusion/exemption de la culpabilit? de l’auteur (l’erreur invincible ou la contrainte) (schulduitsluitingsgronden)
- la culpabilit? dispara?t
(ici : selon les Cours les sadomasochistes - juge et m?decin - ne pouvaient invoquer le dol, ils devaient savoir que leurs actes ?taient ill?gaux, d’autant plus qu’on leur avait d?j? interdit l’acc?s dans des clubs de sadomasochistes)
3. une cause de non imputabilit? (comme la maladie mentale ou la minorit?) (gronden van niet-toerekeningsvatbaarheid)
- l’imputabilit? dispara?t
Dans ces trois cas en effet il y aurait pas eu de condamnation
Il reste n?anmoins une quatri?me cat?gorie ? prendre en compte, notamment les causes d’excuse ou causes exon?ratoires de la peine (et c’est ici, dans le cas de des sadomasochistes belges, que va s’introduire le d?bat sur la vie priv?e dans l’affaire)
4. les causes d’excuses ou causes exon?ratoires de la peines (strafuitsluitingsgronden)
qui m?nent ? une exemption de la peine, mais qui n’enl?vent pas le crime ni la culpabilit?
Donc : ici il y a bel et bien d?lit p?nal, mais il y a bonne excuse et il ne faut pas punir. Ces causes jouent sur ’strafwaardigheid’ du d?lit
Les causes d’excuses emp?chent donc le prononc? de la peine, m?me lorsque sont d?j? r?unis les ?l?ments constitutifs de l’infraction.
Selon De Nauw, dans l’affaire des sadomasochistes la Cour de cassation ? innov? en la mati?re, en consid?rant que l’article 8 CEDH qui prot?ge la vie priv?e peut en principe constituer une cause d’excuse (m?me si ce raisonnement n’a finalement pas abouti)
De la syst?matisation de Alain De Nauw appara?t donc clairement une conclusion/constatation int?ressante : une conduite qui tombe sous la protection de la CEDH, qui en Belgique prend une place hi?rarchiquement sup?rieure ? la loi belge, peut rester un d?lit en vertu du droit p?nal.
Notre commentaire de 1997
Dans notre premier commentaire Paul et moi avons fait simultan?ment la critique arr?t de la Cour d’Anvers et de arr?t strasbourgeois Laskey Jaggard & Brown par une mise en perspective de l’affaire :
on a indiqu? la possibilit? d’approcher la vie priv?e comme une libert? (au sens n?gatif c.-?-d. une zone d’opacit? et de non-ing?rence, sauf conflit interindividuels ou conflit avec l’int?r?t public) en non comme un droit conditionn? par des valeurs absolues sous-jacentes telles que la ’dignit?’ humaine ou l’inviolabilit? absolue de la personne;
nous avons d?fendus une approche non paternaliste et anti-moraliste de la notion de la vie priv?e dans le droit, nous avons plaid?s pour une interpr?tation anti-communautariste du droit en cette mati?re;
nous avons appuy? notre raisonnement et position avec des exemples tir? de la jurisprudence existante tant nationale que strasbourgeoise :
1. Une semaine avant la Cour d’Appel d’Anvers celle de Gand, le 23 septembre 1997, avait rendu un Arr?t tout simplement oppos? :
"Hoewel men niet over zijn leven beschikt (doden op verzoek blijft
strafbaar), moet aanvaard worden dat eenieder toch in beperkte mate en ter bereiking van een redelijk doel over zijn lichamelijke integriteit beschikt. Als voorbeelden kunnen worden vermeld: gewelddaden eigen aan bepaalde vormen van sportbeoefening (gevechtssporten) die niet strijdig zijn met de aanvaarde spelregels, bloedtransfusies, esthetische chirurgie".
(…)"Het toebrengen van voormelde lichte slagen en/of verwondingen aan meerderjarigen in het kader van een sadomasochistische beleving van seksualiteit moet, gelet op de ongedwongen en voorafgaande toestemming van het ’slachtoffer’, gerechtvaardigd kunnen zijn".
(PDH&SG) Het Gentse Hof oordeelde verder dat de betrokkenen zich niet bewust waren van de mogelijke toepassing van de strafwet en dat er in Belgi? tot op heden geen rechtspraak bekend is waarbij sadomasochistische praktijken bestraft werden als ’opzettelijke slagen en verwondingen’ hoewel het Strafwetboek toch reeds dateert van 8 juni 1867. Daarenboven werd nuchter vastgesteld dat in talloze beschikbare Belgische publicaties ongehinderd reclame wordt gemaakt voor SM-seks.
Cela montre qu’il y a moyen, en droit, d’aborder les m?mes questions de fa?on tout ? fait diff?rente: notamment en d?cidant que, en mati?re de sadomasochisme il n’y a pas d’intention g?n?rale et que le consentement est une cause de justification …
2. Nous avons ?voqu? la jurisprudence strasbourgeoise en mati?re d’homosexualit? (les affaires Dudgeon, Norris, Modinos etc.) dans laquelle la CEDH d?veloppe l’id?e que la libert? sexuelle appartient aux aspects les plus intimes de la sexualit?, et qu’il faut donc des "raisons particuli?rement graves" pour que soit justifi?e une ing?rence des pouvoirs publics
3. Nous avons critiqu? la jurisprudence am?ricaine Bowers v. Hardwick de 1986 (l’incrimination de l’homosexualit? n’est pas inconstitutionnelle) et fait le relais de la virulente dissenting opinion de justice Blackmun (entre-temps il y a eu un renversement de la jurisprudence am?ricaine en cette mati?re dans Lawrence vs. Texas Stewart, 26 juin 2003)
nous avons ?galement attaqu? l’argument hypocrite (de la Cour d’Anvers et dans Laskey) selon lequel l’Etat peut intervenir parce que les activit?s sadomasochistes engendrent le risque d’un dommage (c.-?-d. un dommage potentiel) ? la sant? (publique). Car avec ce genre d’argument on peut naturellement interdire n’importe quoi ? commencer par l’alpinisme et les cigarettes et ? finir par "manger trop gras" et le ping-pong, car on pourrait prendre une balle dans l’oeil.
nous avons ?galement ?mis certaines r?ticences par rapport ? l’affaire en nous demandant si la Cour d’Anvers n’aurait en fin de compte pas pu faire valoir un beaucoup meilleur argument pour motiver la condamnation, notamment celui du non-respect du retrait du consentement par la ’victime’ et donc des ’droits et libert?s d’autrui’
Int?ressant : notre commentaire de 1997 ? fait ?cho dans quelques quotidiens flamand (notamment : De Morgen, Het Laatste Nieuws, Gazet van Antwerpen) ?galement en ce qui concerne le dernier point : notamment le probl?me du ’consentement’ de la victime
L’arr?t K.A. de la Cour de Strasbourg de 2005
Apr?s ?puisement des recours nationaux : les demandeurs ont introduit une requ?te ? la Cour de Strasbourg
Parenth?se sur la Cour europ?enne des droits de l’homme de Strasbourg =
Cour internationale ?rig?e par un trait?, la ConventionEDH pour prendre connaissance des requ?tes d’individus et d’?tats-membres contre des violations de la ConventionEDH par des Etats membres.
on dit souvent = Cour constitutionnelle; je dis dirais quant ? moi : Cour qui a des comp?tences constitutionnelles :
le trait? n’est pas une constitution (pas la loi supr?me de tous les Etats-membres, l’incorporation du trait? dans le droit national n’est pas automatique partout et diff?re quant au niveau de la hi?rarchie des lois)
la Cour n’a pas le pouvoir d’annuler des loi
subsidiarit? du m?canisme strasbourgeois par rapport aux syst?mes nationaux de protection des droits de l’homme: elle contr?le la compatibilit? des mesures nationales avec la CEDH
la Cour impose des standards minimums elle n’a pas un plein pouvoir de jugement,
dans sa jurisprudence le respect de ’la marge d’appr?ciation nationale’ est importante
en principe donc: Cour subsidiaire, contr?le marginal, Cour d’harmonisation plut?t que d’unification
son activisme est souvent tr?s mal vu du point de vue national
Aussi : ses jugements et son attitude peut diff?rer de mati?re en mati?re; elle est parfois tr?s entreprenante (homosexualit?), parfois presque inexistante (contr?les vid?os).
Ses positions peuvent varier d’arr?t en arr?t :
p. ex. deux affaires de sadomasochisme, 1997 et 2005 : deux arr?ts contradictoires dans lequel le second (K.A.) refuse, dans ses attendus, de faire r?f?rence au premier (Laskey). Aucun juge de la cour a particip? au d?lib?rations des deux arr?ts.
L’arr?t K.A. conclut que la condamnation des sadomasochistes belges ne viole pas l’article 8 de la convention (ni les autres articles invoqu?s 6 et 7, d’ailleurs);
La cour n’a pas donn? raison aux demandeurs.
MAIS !!! : ? part ?a, la Cour a rendu un arr?t presque parfaitement contraire ? la jurisprudence belge et ? l’arr?t Laskey: l’argumentaire compl?tement diff?rent
Parenth?se :
D?marche de la Cour en g?n?ral, par rapport ? l’art. 8 CEDH
d’abord : constater s’il il y a violation du paragraphe 8.1 CEDH et donc de la vie priv?e
puis : contr?ler syst?matiquement si les conditions de l?gitimit? de l’ing?rence pr?vues par le paragraphe 8.2 sont remplies: notamment : l?galit?, n?cessit?, finalit? l?gitime et proportionnalit? de l’ing?rence
ad 8.1 : La Cour constate que les parties s’entendent ? consid?rer qu’il y a bien eu ing?rence dans le droit au respect de la vie priv?e quant aux faits sanctionn?s par application de l’article 398 du code p?nal.
Elle confirme et pr?cise que l’expression de ? vie priv?e ? est large et ne se pr?te pas ? une d?finition exhaustive et que des ?l?ments tels que le sexe, l’orientation sexuelle et la vie sexuelle sont des composantes importantes du domaine personnel prot?g? par l’article 8
Int?ressant : dans la liste de r?f?rences on ne retrouve pas Laskey (et la suggestion contraire que la Cour faisait dans cet arr?t)
Ad 8.2
ing?rence pr?vue par la loi : ing?rence pr?visible ?
Oui, selon la Cour l’article 398 CP rend l’ing?rence pr?visible, m?me si il n’y avait pas de pr?c?dents sadomasochistes et malgr? la ’permissivit? de la soci?t?’, invoqu?e par les demandeurs.
D’autant plus que K.A. ?tait juge; et que lui et sa bande s’?tait fait refuser acc?s dans des ’clubs de sadomasochistes’ normaux ou l’on refusait leur pratiques extr?mes
voy. les paragraphes 56 et 57 de l’arr?t
"56. Il est vrai que la jurisprudence estime qu’il existe des cas sp?cifiques d’autorisation - explicite ou implicite - par la loi d’actions ou de comportements pouvant ?tre qualifi?s de coups et blessures. Si l’on peut d?duire des d?cisions rendues en l’esp?ce par la cour d’appel et la Cour de cassation que la loi ne sanctionne pas toute pratique sadomasochiste, de telles pratiques ne pouvaient toutefois ?tre justifi?es en droit interne que dans les limites de l’autorisation de la loi, c’est-?-dire dans le respect des r?gles applicables dans ce domaine. Tel n’est pas le cas en l’esp?ce et les requ?rants, en particulier le premier comme magistrat, se devaient de le savoir.
57. A cet ?gard, aux yeux de la Cour, deux ?l?ments doivent ?tre pris en consid?ration dans le cas d’esp?ce. D’une part, il appara?t que les r?gles normalement reconnues pour ce genre de pratiques n’ont pas ?t? respect?es par les requ?rants : non seulement de grandes quantit?s d’alcool ont ?t? consomm?es lors de ces s?ances, ce qui leur a fait perdre tout contr?le de la situation, mais en outre ils auraient ?galement ignor? que la victime criait ? piti? ? et ? stop ?, mots par lesquels il aurait ?t? convenu entre les int?ress?s que ceux-ci devaient mettre fin aux op?rations. D’autre part, les requ?rants ont lou? des lieux priv?s pour se livrer ? leurs pratiques car ils les savaient interdites par le r?glement des clubs sadomasochistes qu’ils fr?quentaient jusque l?. Or, les propri?taires ou g?rants de ces clubs ?taient et sont, du fait de leurs activit?s, sp?cialement ? m?me d’?valuer les divers risques que peuvent comporter des pratiques sadomasochistes.
Int?ressant : "les r?gles normalement reconnues dans le domaine" du sadomasochisme se voient ?lev?s au rang de source de droit !!
Int?ressant aussi : l’arr?t de la cour de Gand ne f?t pas invoqu?
finalit? l?gitime
Ici : contrairement au jugements belges et Laskey: la Cour invoque seulement ? des droits et libert?s d’autrui ? comme motif l?gitime d’intervention. Elle ne parle pas de morale ou de protection de la sant?
Important : de cette fa?on elle d?place la probl?matique : s’il y a probl?me, ?a n’est pas une question de morale ou de sant?, mais une question de violation des droits des autres participants aux ?bats et exercices
Strasbourg passe tr?s ostensiblement sous silence les raisonnements moraux de la jurisprudence belge le probl?me pour elle, ce n’est pas ’l’inviolabilit? du corps humain’ mais ’la dignit? humaine’, c’est le non-respect du retrait du consentement de la "victime" par le mot code "piti?"
Et c’est exactement ce que nous avions dit dans notre commentaire de 1998 …
n?cessit? de l’ing?rence et proportionnalit? :
"82. Reste donc ? d?terminer si la condamnation des requ?rants pouvait passer pour n?cessaire, ? dans une soci?t? d?mocratique ? pour atteindre ces buts. A cet ?gard, la mesure en cause doit se fonder sur un besoin social imp?rieux ce qui impose, notamment, qu’elle demeure proportionn?e au but l?gitime recherch? (McLeod c. Royaume-Uni, arr?t du 23 septembre 1998, Recueil 1998, ? 52).
83. L’article 8 de la Convention prot?ge le droit ? l’?panouissement personnel, que ce soit sous la forme du d?veloppement personnel (Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], arr?t du 11 juillet 2002, Recueil 2002-VI, ? 90) ou sous l’aspect de l’autonomie personnelle qui refl?te un principe important qui sous-tend l’interpr?tation des garanties de l’article 8 (Pretty c. Royaume-Uni, arr?t du 29 avril 2002, Recueil 2002-III, ? 61). Ce droit implique le droit d’?tablir et entretenir des rapports avec d’autres ?tres humains et le monde ext?rieur (voir, par exemple, Burghartz c. Suisse, s?rie A no 280-B, rapport de la Commission, ? 47, et Friedl c. Autriche, s?rie A no 305-B, rapport de la Commission, ? 45), en ce compris dans le domaine des relations sexuelles, qui est l’un des plus intimes de la sph?re priv?e et est ? ce titre prot?g? par cette disposition (Smith et Grady c. Royaume-Uni, arr?t du 27 septembre 1999, Recueil 1999-VI, ? 89). Le droit d’entretenir des relations sexuelles d?coule du droit de disposer de son corps, partie int?grante de la notion d’autonomie personnelle. A cet ?gard, ? la facult? pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut ?galement inclure la possibilit? de s’adonner ? des activit?s per?ues comme ?tant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’op?rer des choix concernant son propre corps ? (Pretty, pr?cit?, ? 66).
84. Il en r?sulte que le droit p?nal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties qui rel?vent du libre arbitre des individus. Il faut d?s lors qu’il existe des ? raisons particuli?rement graves ? pour que soit justifi?e, aux fins de l’article 8 ? 2 de la Convention, une ing?rence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualit?.
85. En l’esp?ce, en raison de la nature des faits incrimin?s, l’ing?rence que constituent les condamnations prononc?es n’appara?t pas disproportionn?e. Si une personne peut revendiquer le droit d’exercer des pratiques sexuelles le plus librement possible, une limite qui doit trouver application est celle du respect de la volont? de la ? victime ? de ces pratiques, dont le propre droit au libre choix quant aux modalit?s d’exercice de sa sexualit? doit aussi ?tre garanti. Ceci implique que les pratiques se d?roulent dans des conditions qui permettent un tel respect, ce qui ne fut pas le cas.
En effet, ? la lumi?re notamment des ?l?ments retenus par la cour d’appel, il appara?t que les engagements des requ?rants visant ? intervenir et arr?ter imm?diatement les pratiques en cause lorsque la ? victime ? n’y consentait plus n’ont pas ?t? respect?s. De surcro?t, au fil du temps, toute organisation, tout contr?le de la situation ?taient devenus absents. Il y a eu une escalade de violence et les requ?rants ont eux-m?mes avou? qu’ils ne savaient pas o? elle se serait termin?e."
Int?ressant : pas de r?f?rence ? Laskey, mais surtout a Pretty (affaire d’euthanasie) et les affaires en mati?re d’homosexualit?
Donc : seulement des "raisons particuli?rement graves" peuvent justifier une intervention
Ces raisons existent, selon la Cour de Strasbourg, dans le cas d’esp?ce, notamment:
le non respect du retrait de consentement de la ’victime’ par le mot code
le non-respect des modalit?s qui rendent ce respect possible
(Par rapport au consentement de la victime, n?anmoins : discussion reste possible : elle - ?pouse de K.A. - n’a pas port? plainte … et bien au contraire; d’autant plus qu’il s’av?re que c’?tait elle qui fut a l’origine du genre dans le couple, le juge condamn? n’?tant pas sp?cialement int?ress? … )
Donc :
la Cour de Strasbourg ne d?clare pas la jurisprudence belge incompatible avec l’art. 8 CEDH, m?me si, avant d’en arriver l?, elle soumet les faits et le droit ? une toute autre lecture que les juges belges.
Si les juges belges condamnent, parce qu’ils veulent prot?ger la morale et la dignit? humaine contre des pratiques sexuelles qui leur donnent la naus?e. Si les juges strasbourgeois condamnent ces actes, qui en tant que pratique sexuelle se trouve normalement sous la protection de l’article 8 CEDH, c’est parce qu’il y a eu, et c’est particuli?rement grave, violation des droits de la ’victime’.
Notre commentaire de 2005
1. D’abord : nous nous sommes r?jouis car nous avons retrouv?s nos points de vue dans l’arr?t :
les droits de l’homme y sont vus comme instrument de garantie de l’opacit? des individus face au droit (il faut qu’il y ait des raisons particuli?rement graves pour qu’une ing?rence de l’?tat et du droit dans la vie sexuelle soit justifi?e, en principe il n’ont rien ? y chercher) . Au sujet de "l’opacit?" voir le texte en annexe ? ce texte.
nous y voyions une confirmation tr?s nette d’une approche de la vie priv?e comme libert? (approche que nous avions ? la suite de Rigaux d?j? identifi?e dans la jurisprudence et dans son origine de droit public)
contents parce la Cour n’invoque pas la morale, la dignit? humaine ou d’autres valeurs morales abstraites et universalisantes, mais parce qu’elle suit une approche pragmatique et contextuelle, li?e au faits de l’affaire
refus de l’approche communautariste
2. Ensuite nous avons essay? d’indiquer l’importance de certains aspect de l’arr?t
la mise en valeur du consentement dans les pratiques sexuelles : "le sexe est une passion incontr?lable" n’est pas une excuse valable; il y a des codes et r?gles
(que faire du ’kinky sex’ ? il faut qu’il y ait une r?gie et que tout les participants s’y tiennent)
Tr?s important en mati?re de viol, l’arr?t Strasbourgeois MC c. Bulgarie : le consentement de la victime ne peut ?tre d?duit du manque de r?sistance …
les "r?gles normalement reconnues pour ce genre de pratiques" se voient reconnues comme source de droit au m?me titre que les r?gles sportives, les codes de conduites des tatoueurs, etc …
La Cour prend au s?rieux la fa?on dont s’organisent et se construisent des pratiques sexuelles !
Reconnaissance de la diversit? et le chevauchement de sources de droit tr?s diff?rentes, sinon de diversit?s de droits, tout simplement
Finalement nous avons op?r? un retour sur le droit belge en 2 points :
1. Nous avons critiqu? arr?t de la Cour de Cassation ainsi que la fa?on non critique dont De Nauw l’a syst?matis? : il y a en effet quelque chose qui cloche bien fort si des actions prot?g?es par la CEDH restent des d?lits en droit belge (m?me si le juge p?nal, par ce fait, les estime ’excusables’ parce et n’impose pas de punition). Il y a l? un retournement assez inacceptable de la hi?rarchie des normes …
Nous proposons au contraire qu’il faut consid?rer la conformit? de ces actions ? l’article 8 (ce qui en l’esp?ce n’?tait pas le cas) comme une cause de justification, c a d qu’il n’y a plus de d?lit.
"Indien seksuele aanrakingen door sadomasochisten verdragsconform zijn, dan dienen deze aanrakingen als rechtmatig en niet-wederrechtelijk te worden beschouwd. Sadomasochisten die de regels van het spel eerbiedigen horen bijgevolg niet thuis in het strafwetboek."
2. nous critiquons le maintien et l’application d’incriminations larges (comme "coups et blessures") par rapport ? des pratiques sexuelles tr?s diversifi?es .
Si il y a un cadre sp?cifique p?nal pour l’attentat ? la pudeur et le viol, ne peut on alors pas attendre ? juste titre une r?glementation sp?cifique du sadomasochisme.
Voil? pourquoi les demandeurs avaient, selon nous, peut-?tre un point (reconnu par la Cour de Gand) quand ils argumentaient l’incertitude par rapport au caract?re ill?gal du sadomasochisme.
Pour conclure, voyons les choses de la perspective pos? par le d?fi de penser le droit et la th?orie du droit comme "pratiques"
Les juges anversois et de Cassation
A mon avis :
Les juges Anversois et la Cour de Cassation se sont retranch?s dans le droit p?nal; ils sont rest?s coll? de pr?s ? une certaine interpr?tation du droit p?nal. Il n’ont pas r?pondu ? l’occasion de cr?ation que repr?sentait cette affaire.
Ils ont jou? la carte de l’application quasi m?canique de la loi, sans s’arr?ter sur le d?fi et l’enjeu de cette cet affaire: notamment une nouvelle exploration de ce que peuvent signifier la protection de la vie priv?e et la libert? sexuelle ? la lumi?re du droit en vigueur; ils ont refus? de prendre en compte la fa?on dont les int?ress?s (sado-masochistes) leur proposaient de d?finir et comprendre leurs actes
Ils ont pas pris au s?rieux l’argument de la protection de la libert? sexuelle par l’article 8 de CEDH, qui selon arr?t de la cour de Cassation Le ski 1971, est imp?rative dans le droit belge et m?me ? l’encontre d’une droit belge …
On peut dire aussi qu’ils n’ont pas vraiment au s?rieux les la fa?on dont les ’sujets de droit’ se d?finissaient et positionnaient par rapport ? leurs actes et comment ils proposaient de les d?finir
il n’y a pas de tentative de "diplomatie" entre le "qu’est-ce que je peux faire en tant que juge" (obligations) et "ce qu’on attend de moi" (exigences) : pas de mise en risque, le praticien se retranche dans son fort … et refuse la mise ? l’?preuve de ces ’rep?res’ ou ’obligations’
on voit dans l’arr?t d’Anvers monter ? la surface un esp?ce de d?go?t et une r?pugnance par rapport aux actes poursuivis : au fond, cela rend les juges vuln?rables car cela les induit ? refuser la prise en compte s?rieuse m?me du probl?me juridique pos? par les faits
on voit ?galement (re)monter en force l’id?e qu’il y a des ’interdits absolus’ par rapport auxquels les individus perdent leur autonomie et libert?. Or dans les jugements belges cette id?e n’est pas motiv?e de fa?on juridique (par r?f?rence ? d’autres cas similaires de la jurisprudence), non, la motivation s’embourbe dans quelques slogans moraux mal masqu?s par quelques r?f?rences disparates ? des travaux en sciences humaines: c’est trop d?go?tant ! il faut prot?ger la morale par le droit p?nal
(ce m?me d?go?t est ? la parole dans le commentaire d’un grand old man A.Vandeplas du droit p?nal dans le p?riodique juridique principal en Flandre : "c’est des malades, il aurait fallu consid?rer que les d?lits leur ?taient non imputables" )
Le commentaire de De Nauw est exemplaire d’un commentaire distant de doctrine (le travail typique d’un jurisconsulte). A le lire on oublie m?me qu’il s’agit de sadomasochisme extr?me
De Nauw structure et met en perspective; il relie l’arr?t comment? et ? l’?tat du droit en la mati?re, et il compl?te la sch?matisation des choses par la doctrine. On peut dire qu’il peaufine son "manuel". Dans la conclusion il ?crit : "l’enseignement que le pr?sent arr?t apporte en ce qui concerne les causes d’excuse absolutoire, permet d’affiner notre sch?ma ?bauch? il y a quelques ann?es".
Il indique l’innovation juridique par rapport ? l’?tat des savoir et se d?sint?resse de l’issue at stake
(cf. Latour : le juriste se d?barrasse le plus vite possible des faits, pour passer ensuite aux choses s?rieuses, notamment les questions de droit)
(cf. la Cour supr?me dans l’?difice belge (ou hollandais), la Cour de cassation, ne s’exprime en principe d’ailleurs que sur des questions de droit, elle veille a l’application uniforme de celui-ci)
Dans le commentaire de De Nauw on voit la main du sp?cialiste du droit p?nal : il ne pose pas, dans son commentaire, d’un point de vie juridique, la question de du conflit de normes entre le droit p?nal belge et la CEDH; il ne critique pas, mais il syst?matise ? partir de l’action de la Cour de Cassation. Il ne s’int?resse ? la question pos?e par l’affaire : celle des limites de la libert? sexuelle
Au sujet de l’arr?t de la Cour
Les juges de la CEDH (2005), eux, se sont montr?s tr?s entreprenants : ils ont tout ? fait red?fini la fa?on dont cette affaire doit ?tre tiss?e dans la fabrique du droit pr?existant, sans pour autant donner raison aux demandeurs.
Ils ont montr? ce que peut un juge, en tout cas ce que peut un juge ? la CEDH (ce qui n’est pas la m?me chose qu’un juge ? la cour d’Appel d’Anvers)
En effet, ne pas l’oublier, au niveau de la CEDH la jurisprudence devient beaucoup plus politique par sa nature quasi-constitutionnelle (m?me si contrairement ? la cour supr?me des E-U, on ne sait officiellement pas quel est la couleur des juges, officieusement on sait que depuis l’?largissement du CdE la cour est peupl? dune majorit? de vieux m?les plut?t conservateurs)
Certains diront que la Cour de Strasbourg, en refaisant le travail des juges belges, est all? beaucoup trop loin dans cette affaire. Qu’elle ne c’est pas assez restreinte, qu’elle n’a pas respect? la marge d’appr?ciation des ?tats-membres, qu’elle s’est positionn? comme un vrai Cour Constitutionnelle pl?nipotentiaire, qu’elle a impos? une vision trop lib?rale non-repr?sentative du CdE, etc.
On dira ?galement que cet arr?t ne signifie rien en mati?re de sadomasochisme, car la Cour, dans une composition absolument diff?rente, dans Laskey, a statu? tout ? fait diff?remment
(avec le fameux dissenting opinion du juge fran?ais Petitti, qui d?fendait la position que la permissivit? et la d?bauche ne m?ritent m?me pas d’?tre prot?g?s par la vie priv?e, et donc que le premier paragraphe de l’article 8 n’?tait pas applicable)
Et finalement on chuchotera probablement que l’influence de la juge belge sur cette affaire a ?t? trop grande : en effet Fran?oise Tulkens est ? peu pr?s la seule juge de la Cour rompue au droit p?nal (et ? la criminologie), et qui de ce fait est rest?e fort critique par rapport au inf?rences ?tatiques par le droit p?nal dans le domaine des droit de l’homme.
Par rapport a nos propres commentaires, je ne veux pas m’aventurer trop loin. C’est plut?t de vous que j’ai envie d’entendre ou et comment les situer par rapport ? la question de ce s?minaire ?
Juste quelques ?l?ments
je crois que nous (Paul et moi, les ‘th?oriciens du droit’) essayons de faire le relais entre la pratique des juges et des ‘jurisconsultes’ (comme De Nauw) d’une part, et des concerns qui sont exprim?s ? travers l’affaire.
Il y a donc, et respect et prise en compte de ce qui compte pour les juges et les jurisconsultes (notamment la continuit? du droit et sa pr?visibilit?) mais aussi de leurs possibilit?s, et ?galement de ce qui compte pour les int?ress?s (pour les demandeurs)
A ce titre, dans cette affaire, nous avons essay?, de d?montrer que le juge ne se trahit pas n?cessairement en prenant une autre position et que le la toile du droit peut ?galement tenir en r?pondant autrement au m?me cas esp?ce. Nous essayons donc de construire un paysage possible de sa d?cision.
Il n’est pas impossible que cela puisse faire h?siter des juges et que cela, en esp?ce, ait effectivement inspir? l’arr?t.
Nous avons ?galement explicitement exprim? notre perspective sur un Etat de droit d?mocratique en la mati?re, comme clef de lecture, qui n’est plus de l’ordre du droit en tant que tel, mais qui fait partie de nos convictions politiques morales etc.
L? nous jouons au niveau de ce que Bruno appelle le ’droit institution’ : comment le registre du droit s’accorde aux autres registres
Nous avons fait monter ? la lumi?re le moralisme et paternalisme des juges Anversois que nous estimons pr?cis?ment incompatible avec les droit fondamentaux (qui justement doivent garantir un espace d’opacit? dans lequel le droit et l’Etat n’ont rien chercher, sauf exception)
Ceci montre bien que nous jouons toujours sur deux registres : celui de du droit comme pratique (avec son r?gime d’?nonciation propre) et celui du droit comme institution, m?l?e aux autres institutions.
Notre "obligation" c’est peut-?tre de bien faire le partage des choses en r?pondant ? chaque fois ? deux questions, qu’il faudra ’diplomatiquement’ relier par apr?s :
que peut on attendre de ce praticien du droit dans telle situation de d?cision par rapport ? telle question ?
par quels arguments pouvons nous le faire h?siter dans l’espoir qu’il d?cide ce que nous aimerions qu’il d?cide ?
Voici les premiers commentaires qui furent faits apr?s la publication sur le prototype de ce website
Posted by: Isabelle at October 23, 2005 11:37 AM
Cher Serge,
J’ai envie de commenter une de tes phrases:
"Nous avons ?galement explicitement exprim? notre perspective sur un Etat de droit d?mocratique en la mati?re, comme clef de lecture, qui n’est plus de l’ordre du droit en tant que tel, mais qui fait partie de nos convictions politiques morales etc.
L? nous jouons au niveau de ce que Bruno appelle le ’droit institution’ : comment le registre du droit s’accorde aux autres registres."
Il me semble que c’est pr?cis?ment LA qu’une pens?e-th?orie du droit comme faisant partie de la pratique du droit est importante.
En ce qui concerne le droit comme "r?gime d’?nonciation", cela peut certainement int?resser les praticiens du droit institu?, comme la mani?re de faire des math?matiques dans la Chine ancienne peurt int?resser les math?maticiens d’ici. Cela donne certainement beaucoup de "sagesse" que de se rendre compte de la diff?rence des Insititutions, c’est tout ? fait important pour ?chapper au pi?ge du modernisme (notre institution permet enfin au droit de se d?ployer pleinement).
MAIS ce n’est pas cela qui peut faire h?siter.
C’est l? ce que je voudrais souligner : on n’h?site jamais - au sens o? j’ai li? pratique et h?sitation - que localement, autour d’une "issue" concr?te, c’est ? dire dans une institution, dont on fait partie.
On peut penser "en pr?sence" de la mani?re dont d’autres institutions "de droit" fonctionnent, cela peut donner une plus grande libert?/qualit? ? l’h?sitation, mais ce qui fait h?siter est toujours un probl?me impliquant l’institution. Et c’est le devenir/les d?rives de cette institution qui est le MATTER OF CONCERN des praticiens du droit.
Donc, en fournissant une piste permettant ? la Cour europ?enne de ne pas utiliser d’argument moraux et sant? publique, vous avez fait votre travail de praticiens du droit, par rapport ? notre institution qui distingue, veut distinguer et doit distinguer le droit d’une instance paternelle, moralisante et hygi?niste. Ce souci de distinguer les registres de cette mani?re l? fait partie de notre institution du droit. Cf. l’Affaire Dreyfus : le Droit se doit d’?tre aveugle aux questions de sauvegarde du prestige de l’Arm?e - le juriste qui dirait aujourd’hui que "il fallait condamner Dreyfus plut?t que de mettre en cause la hi?rarchie militaire serait d?nonc? comme "petit" (cf. le contraste "grand/"petit" dans Les ?conomies de la grandeur de Boltansky et Th?venot)
Cf. aussi toutes les d?rives en France autour de la question des drogues ill?gales, o? on a vu des juges emprunter le vocabilaire de Lacan, et confondre les lois de prohibition avec la Loi lacanienne, celle qui fait de nous des "sujets". Il y avait l? comme une obsc?nit? effrayante, un d?rapage renforc? et confirm? par le fait que les lois anti-drogues sont calqu?es sur le droit de la protection de la jeunesse (les jeunes = ceux que l’on peut/doit prot?ger malgr? eux)
Tout cela prend sens dans l’institution.
Et c’est tr?s bien, tr?s tr?s bien comme cela. Une pens?e de praticien ne doit pas tenter de se situer "hors institution", parce que c’est dedans qu’on h?site, et c’est en ?tant dedans que les penseurs du droit ont une chance de faire penser leurs coll?gues, de ne pas seulement ?noncer un "matter of concern", mais de "cr?er" une mani?re de retrouvezr la distinction des registres telle qu’elle est institu?e (sant? et morale sont aussi des institutions)
Vous avez "cr??", et votre cr?ation a ?t? reprise, gr?ce ? Tulkens - mais la cr?ation ?tait bonne puisque en la reprenant Tulkens a pu faire penser et convaincre ses coll?gues. Si vous aviez seuulement d?nonc?, vous ne l’auriez pas aid?e. Donc, pour moi, vous avez fait un parfait boulot de praticien (la th?orie ou pens?e, du droit faisant partie de la pratique, bien sur...)
Dans Mille Plateaux, Deleuze et Guattari inventent en m?me temps "territoire" et "processus de d?territorialistion", le second pr?supposant le premier. C’est par rapport au territoire institutionnel que les pens?es pratiques risquent une d?territorialisation comme par exemple admettre les r?gles propres aux groupes masochistes en tant qu’argument juridique.
Deleuze lui-m?me dans l’ab?c?daire disait que le droit l’int?ressait, mais c’?tait justement par cette capacit? d’invention - par l’invention des "d?finitions" qui permettent par exemple ? un moment de dire que le taxi est "lou?" par le client, qui a donc le droit de fumer quoi qu’en pense le chauffeur, et, plus tard, une autre d?finition, et le chauffeur peut interdire....
Le praticien est praticien lorsqu’il sait faire h?siter ses coll?gues praticiens, et il ne peut les faire h?siter que par rapport ? une issue, donc dans les termes d’une institution, et sur un mode concret, avec des "et si..." qui r?inventent un peu les termes de l’issue. Pas en "evading both the issue and the institution". Les praticiens ne sont pas des anges, ils ont un CORPS (institu?), et c’est ce qui fait la valeur, la difficult? et le caract?re "technique" de leur travail.
Le CONCERN n’est pas face ? des valeurs ou r?gimes d’?nonciation en tant que tels, abstraits de l’institution. Le Concern a une "matter", et le matter ne peut ?tre abstrait de l’institution.
Un praticien qui r?ve d’?tre un Ange (ayant pour souci le r?gime d’?nonciation en tant que tel, ind?pendamment de telle ou telle issue) perd son efficacit? - partager son souci avec d’autres praticiens) et est profond?ment expos?, car il n’est pas un Ange, et il devra ? chaque mot faire attention ? ne pas privil?gier "son" institution. Dans ce cas l?, son savoir pratique devient un handicap, parce qu’il ne l’a pas pr?par? ? cela.
On verra comment Bruno va faire, moi je n’ose pas aller plus loin que "penser en philosophe (= institution) EN PRESENCE de toutes les cultures qui N’ONT PAS produit ce type de pens?e, mais qui n’en pensaient pas moins.
Posted by: DDB at October 24, 2005 02:03 PM
Chers Isabelle et Serge,
Vraiment grand merci! J’ai l’impression de mieux comprendre ce que recouvre "notre pratique" comme juriste, l? o? nous sommes. Et aussi les difficult?s de (je cite Isabelle) "cr?er une mani?re de retrouver la distinction des r?gistres telle qu’elle est institu?e (...)".
... Avec le sentiment que c’est diablement difficile dans le cas de l’OMC. Elle est singuli?rement bien arm?e pour r?sister ? l’h?sitation, ou plut?t ? ce qui peut faire prise.
Posted by: Laurent De Sutter at October 25, 2005 11:31 AM
En lisant le commentaire d’Isabelle, et en repensant ? notre discussion de jeudi pass?, je crois qu’il ne serait pas compl?tement d?bile de me r?p?ter sur un point : et si, dans leur commentaire de l’arr?t de la Cour d’appel d’Anvers, Serge et Paul avaient fait deux choses diff?rentes ? D’une part, en effet, ils ont contribu? ? l’h?sitation des juges de la Cour europ?enne des droits de l’homme - et sp?cialement Fran?oise Tulkens - en reformulant un ensemble d’arguments relatifs ? l’article 8 ?2 de la CESDH autour des convictions qui ?taient les leurs (et que Serge a d?finies comme "lib?rales"). De ce point de vue, comme le souligne Isabelle, on pourrait dire qu’ils ont effectu? un bon travail de juristes. Ils se sont pr?occup?s des exigences de leur pratique d’une mani?re qui leur permette aussi de remplir leurs obligations vis-?-vis d’elle.
Mais, d’autre part, la conclusion de leur article avait aussi un autre objet que l’article 8 ?2 de la CESDH. Comme Nathalie et moi l’avions relev? lors de la discussion, cette conclusion portait aussi, en m?me temps, mais de mani?re diff?rente, sur le concept juridique de "consentement". Or il se fait que ce point a ?galement ?t? repris par l’arr?t de la CEDH. Mais cette reprise n’a ?t? possible que pour autant que la Cour s’est aper?ue que le concept de consentement existait aussi, sur un mode propre, dans les rituels "sadomasochistes" (dans la terminologie de Deleuze, il aurait plut?t fallu parler de "rituels masochistes" tout court, mais soit). En relevant cette question, ce que Serge et Paul ont accompli, c’?tait me semble-t-il tout autre chose que poser une certain nombre de questions au sujet de l’article 8 ?2. Plus pr?cis?ment, en ?voquant le concept de "consentement", ils soulignaient l’existence d’un objet qui importait aussi bien aux juristes qu’aux "sadomasochistes", mais qui importait ? chacun sur un mode diff?rent. Je me demande donc s’il n’y aurait pas l? une autre pratique que la pure et simple pratique des juristes qui serait en jeu. Je me demande s’il ne s’agirait pas l? de pens?e du droit - au sens o? il s’agirait pour cette pens?e d’identifier des nouveaux objets int?ressants, des objets dont l’int?r?t n’est peut-?tre pas encore ?vident, mais dont la constitution de l’?vidence permettrait d’accro?tre encore l’h?sitation des praticiens du droit en les rendant attentifs au fait que ce qu’ils accomplissent peuvent aussi int?resser d’autres pratiques. Souligner l’existence double (pour le droit et pour d’autres) de tels objets, ne serait-ce pas l? une autre t?che que celle de praticiens du droit ?
Posted by: Isabelle at October 28, 2005 01:53 PM
Cher Laurent,
Une pratique "pure et simple" ? Que du contraire, il me semble qu’il s’agit l? d’un bon exemple de d?ploiement de ce que l’id?e de pratique ne demande pas de renoncement. Seul un praticien du droit pouvait produire un tel ?v?nement : nous juriste, faisons importer pour nous, dans nos termes, ce qui importe aux pratiques(sado-)masos. Cela a certes une incidence sur les pratiques (sado-)masos, notamment peut-?tre en termes de s?curit? juridique. Cela peut avoir d’autres r?percussions, peut-?tre une rigidification des normes, le risque d’une formalisation du consentement, qui le rende opposable ? des poursuites, que sais-je ? Mais toutes ces questions appartiennent, en tant que probl?me, aux praticien/ne/s (sado-)masos, ?tant donn? le nouveau milieu qui a traduit ce qui, pour eux, ?tait auparavant obligation, en exigence dont on peut leur demander le respect. Si maintenant les juristes exigeaient des signatures, v?rifications, et Cie, la question serait encore diff?rente. Il s’agirait d’un rapport de force... Pour le moment l’arr?t se borne ? faire valoir ce qui existe d?j?, mais il faut faire attention....
Pour moi, l’?cologie des pratiques, c’est en termes de r?percussions de ce genre, ce qui signifie qu’?tre praticien c’est, ce peut, aussi ?tre int?ress? par les liens avec d’autres pratiques, le point ?tant, toujours du point de vue de l’une. Pas de position dite "de survol".
Posted by: Laurent De Sutter at October 30, 2005 12:33 PM
Ch?re Isabelle,
Je te re?ois cinq sur cinq. En essayant de distinguer ce que disait Serge de l’art. 8 ?2 de la Convention et ce qu’il disait du "consentement", j’essayais juste de distinguer deux modes diff?rents de ce "faire importer", de cette constitution de "r?percussions" que tu ?voques. C’est-?-dire d’une part un mode dont l’intelligence serait toute naturelle pour les juristes - et puis d’autre part un autre dont l’intelligence serait encore ? construire, et que, comme toi, je refuse de voir comme un mode de "survol" (le mot d’intelligence est sans doute d’ailleurs inappropri?). Si tu pr?f?res, le fait que les "sadomasochistes" aient ?t? impliqu?s, ? travers l’interpr?tation de l’art 8 ?2 sugg?r?e par Serge, dans la jurisprudence de la CEDH n’est jamais qu’une question de lecture "externe" : il se fait, mais cet un accident tout ? fait contingent, que cette interpr?tation ?tait plut?t favorable aux SM - contrairement ? la jurisprudence belge ant?rieure. Que la discussion sur l’art 8 ?2 ait emport? une ambigu?t? sur le concept de consentement, par contre, entra?ne des cons?quences beaucoup plus importantes, parce qu’elles r?clament aussi que les juristes eux-m?mes apprennent ? les prendre en charge : le concept de consentement se trouve mis en question, va-t-on l’accepter, ou rabattre le consentement particulier dont il est question dans l’affaire sur le consentement proprement juridique - celui du droit des contrats ? Evoquer, dans l’arr?t de la CEDH l’ambigu?t? du statut juridique du consentement qui y est invoqu?, ce n’est plus alors (du moins, me semble-t-il) consid?rer les SM de mani?re accidentelle, mais de mani?re incidente : plus un accident, mais un incident (je t’imagine d?j? aff?ter une r?ponse sur cette distinction, mais soit). Pour le juriste, pour qu’il h?site bien, peu importent les SM, comme l’a montr? Bruno. Pour qu’il se mette ? h?siter sur ses raisons d’h?siter (ou sur son mode d’h?sitation, ou sur son objet), il faut un peu plus, c’est ce que tu avais montr? en parlant de "pens?e du droit". Voil? ce que je voulais tenter de mettre en ?vidence. Parce que pr?cis?ment, cela ne l’est pas.
C’est ainsi qu’une des questions tr?s concr?tes qui animait Serge, en effet, ?tait de savoir ce qu’avec la jurisprudence SM de la CEDH il avait lui-m?me accompli COMME THEORICIEN DU DROIT - ou comme "penseur du droit". Distinguer deux choses diff?rentes dans le travail de Serge permettait peut-?tre de le convaincre que, oui, "?tre" th?oricien du droit n’implique pas forc?ment "?tre" un mauvais juriste. Mais aussi qu’"?tre" un bon juriste n’est pas la m?me chose qu’"?tre" un bon penseur du droit - comme tu l’avais d’ailleurs toi-m?me soulign? lors de la s?ance de s?minaire o? tu nous as fait la gentillesse de nous faire part de tes pens?es ? ce sujet. Mes mots ("pur et simple", en effet, quelle maladresse) n’?taient sans doute ? cet ?gard pas appropri?s. Mais faire passer la diff?rence entre juriste et penseurs du droit reste une pr?occupation que je souhaiterais d?fendre - au moins comme importante pour moi. Et pour Serge, mais je ne parle qu’en mon nom.