Preliminary version of the text published that is the version to be quoted: Trussart, Nathalie. "Publics et expérimentations". Multitudes n°23. Hiver 2006. pp.169-179.
Following the IAP colloquium "Testing expertise", this text offers to think with the John Dewey’s proposal for "politics as experimentation" the public dimension of the controversy around GMO.
Nathalie Trussart (ULB)
Depuis 1996, une controverse publique europ?enne s’anime autour des OGM: un public se construit pour faire valoir le droit de voir ses positions prises en compte. Des individus et des groupes ont tiss? des r?seaux internationaux ? travers lesquels ils ont revendiqu? ce droit. Ce faisant, ils l’ont cr?? et d?velopp? tout autant : saisissant tout indice, fabriquant et ?changeant des savoirs, des informations et des ressources, mobilisant de nouvelles associations, donnant de l’importance ? des savoirs n?glig?s. Ils ont fait compter de nouvelles questions et connaissances qui ont contribu? ? ?tendre le champ des disciplines scientifiques reconnues dans les expertises officielles. Aujourd’hui, ils travaillent encore ? r?-?laborer le cadre g?n?ral du mod?le classiquement lin?aire de l’expertise, d?non?ant le privil?ge accord? aux seules ?valuations scientifiques comme fondement de la l?gitimit? des d?cisions politiques . Ils reconfigurent le probl?me technique en y faisant entrer des variables qui forcent le d?bat politique: qualit? de l’alimentation, autonomie des agriculteurs, propri?t? intellectuelle, souverainet? alimentaire, relations entre Nord et Sud, d?veloppement durable, lib?ralisation des march?s, recherche publique, politiques environnementales...
Un public n’a cess? de faire entendre ses revendications, de produire des savoirs, de d?ployer des techniques de protestations, jusqu’? adopter des approches d’action directe non violente, arrachant des plants exp?rimentaux et envahissant des laboratoires. Autant de marques de ce que les OGM constituent un probl?me pour un public.
En Europe, la plupart des actions institutionnelles adress?es au public tentent de r?duire ce probl?me qu’elles interpr?tent en termes d’opposition aux OGM.
Les sondages dits ’eurobarom?tres’, outil de mesure de l’?quipe ’opinion’ de la Commission europ?enne, illustrent cette position en mati?re de biotechnologies et de sciences de la vie. Ils ont le plus souvent adopt? un mod?le dit ’d?ficitaire’ du public, soutenant l’id?e qu’un public inform? aura n?cessairement tendance ? soutenir les innovations scientifiques et technologiques. Aux mises en question, expliqu?es en termes d’ignorance et de d?sinformation, r?pondent des campagnes d’?dification qui visent ? informer le public. Le dernier sondage ’eurobarom?tre’ r?alis?e en 2002 critique ce mod?le d?ficitaire et le remplace par le mod?le dit ’d’un public engag? des biotechnologies’ qui a surtout le m?rite de pr?ciser d’autant mieux les crit?res positifs ? partir desquels est ?valu? le dit ’d?ficit’ analys? par le pr?c?dent mod?le. Car ne nous y trompons pas, l’engagement concerne explicitement le soutien apport? au progr?s de l’Europe et aux biotechnologies dont il est dit d?pendre. Le public engag? des biotechnologies est un public qui soutient leur d?veloppement. Aux connaissances scientifiques s’ajoutent les connaissances des institutions europ?ennes pour ?tablir la jauge de cet engagement. Leur d?ficit reste l’explication des suspicions et m?fiances ? l’?gard des innovations technologiques et des institutions politiques. Le rem?de est identique : am?lioration de la communication, de l’information et de l’instruction par le biais de programmes ?ducatifs ou de consultations populaires visant ? convaincre de l’acceptabilit? sociale des OGM. Du point de vue de sa fabrication, ce type de projet pr?sente au moins deux lignes fortes de s?dimentations, deux constantes sous la guise de faits stabilis?s auxquels tout r?sultat perturbant sera r?duit: les OGM, d?finis comme les produits d?sir?s et d?sirables pour la croissance de l’Europe, et le public, d?fini comme l’ensemble des consommateurs ? convaincre … ou comme des ignorants irrationnellement affect?s ? ?duquer.
L’?tude du d?roulement de la controverse publique nous apprend pourtant qu’une autre perspective peut ?tre offerte, celle d’une lutte qui constitue les OGM en une question d’int?r?t public, a matter of public concern, ce autour de quoi des acteurs perplexes se rassemblent pour participer ? la multiplication et ? la reformulation de ses dimensions. S’il s’agit ? proprement parler d’une lutte, elle n’est pas avant tout contre les OGM, ou les Etats qui les favorisent, mais bien plut?t contre leur r?duction ? la figure d’innovation stable et prometteuse qu’un public invariable, con?u comme une audience ext?rieure et passive, devrait accepter ou refuser; une lutte contre leur r?duction ? un objet expert, ne regroupant autour de lui que les int?r?ts priv?s d’entrepreneurs innovants et ceux de consommateurs rationnels, et d?fini par des faits techniques ? m?me de dicter les d?cisions politiques qui s’imposent ; une lutte pour qu’un public et les OGM qui les rassemblent puissent ?tre mis en variation, transform?s et ?valu?s sur base d’une appr?ciation des cons?quences des actions et des choix engag?s.
A propos du devenir des OGM, le sens m?me du mot ’public’ est au cœur de la controverse. De nouvelles pratiques en rejouent les implications, mettent en question les traits traditionnels par lequel un ’public’ est d?fini dans un Etat d?mocratique, ainsi du r?gime repr?sentatif qui le sous-tend ou des modes usuels de r?sistances qui l’accompagnent. C’est tout un champ d’apprentissage qui est ouvert. Et alors que la red?finition du ’public’ qui s’y dessine croise les hypoth?ses propos?es par le philosophe pragmatiste am?ricain John Dewey, ses efforts pour penser les conditions de survie de la d?mocratie trouvent dans ces nouvelles pratiques des mises ? l’?preuve des plus int?ressantes.
? Qu’est-ce que le public ? ?. Cette question, Dewey la posait en 1927 dans un contexte de remise en question inqui?te des capacit?s ?mancipatrices de la d?mocratie am?ricaine. Le scepticisme montait quant ? l’aptitude des citoyens de participer activement au mode de gouvernement. Avec Walter Lippman , il constatait la d?faillance de ce public suppos? par le r?gime repr?sentatif : un public omnicomp?tent compos? de citoyens nus ? m?me de juger et de faire repr?senter leurs int?r?ts dans les affaires communes. Toutefois, l’un et l’autre s’opposaient sur les mani?res de construire ce probl?me.
Lippman expose le caract?re illusoire et fantomatique du public attendu par les r?gimes d?mocratiques. Ignorants et irrationnels, les jugements des citoyens ordinaires s’additionnent dans une opinion publique. Les gouvernants ont d?s lors pour t?che de jouer sur deux fronts, d’une part de former leurs politiques sur base des faits et expertises men?es par des savants politiquement neutres, et d’autre part, d’utiliser les donn?es psychologiques et ?pist?mologiques recueillies ? propos du public afin de le convaincre, par un ensemble de mesures p?dagogiques, de la n?cessit? des d?cisions gouvernementales prises.
Contre Lippman, Dewey d?fend quant ? lui une figure radicale de la d?mocratie politique. Il r?affirme, d’une part, la r?alit? du public, et non pas sa survie illusoire comme fant?me des th?ories de la repr?sentation, et, d’autre part, sa n?cessaire participation politique. La d?mocratie, par contraste avec la d?mocratie politique incarn?e dans des ordres sp?cifiques de gouvernement, d?signe, selon Dewey, un principe commun ? toute association humaine : un individu agit en interaction avec les environnements associatifs o? il vit, en participant au ? processus de d?finition des buts ? atteindre ? et des directions communes ? infl?chir. Ce principe maintient indissociablement li?s la formation des associations et les processus d’individuation. Il affirme que ce que sont les individus, ce qu’ils pensent, ce qu’ils d?sirent et ce qu’ils font d?pend des milieux associatifs dans lesquels ils vivent . La qualit? des ces associations - leur capacit? ? se transformer en fonction des probl?mes concrets qu’y s’y posent - d?pend des processus d’individuation qui s’y jouent. La t?che adress?e par le principe d?mocratique est de favoriser les conditions associatives qui privil?gient ces processus d’individuation et la libert? d’action qui est son corollaire. Ainsi, si les citoyens sont devenus les joueurs invisibles du jeu de la d?mocratie politique, ce fait doit ?tre questionn? comme un effet des modes de gouvernement, ces modes sp?cifiques d’association, plut?t que pr?sent? comme une des causes - ? r?duire - de leur faiblesse, ou comme un des traits essentiels de ce qu’un public est. L’?clipse du public, selon son expression, impose d’interroger ce qui fait obstacle ? son action dans les affaires publiques. Au lieu de d?finir ce qu’est ou doit ?tre ? un public ?, comment il doit se comporter, afin de satisfaire aux caract?res de l’Etat, Dewey inverse les pr?misses et reformule le probl?me : Comment doit ?tre d?fini et organis? un Etat pour permettre la participation d’un public ? la d?finition et ? la mise en œuvre des fins politiques ?
La question du public, telle que construite par Dewey, suppose d?s lors deux propositions radicales. Premi?rement, une perspective de l’?mergence de l’Etat, en d?pendance avec l’articulation d’un public. En effet, le public est d’abord pos? comme ce qui force l’?mergence de l’Etat, comme ce qui provoque cet ?v?nement par lequel des affaires publiques se constituent par-del? les int?r?ts priv?s, posant une fronti?re, mobile, entre le public et le priv?. Aucune identit? stable ne permet d’assigner ? l’Etat des caract?res et des sph?res d’activit? immuables. Dewey lie l’?mergence d’un public au fait que des transactions priv?es produisent des cons?quences indirectes, c’est-?-dire ayant des effets importants et irr?versibles sur les modes d’association et sur les modes d’individuation au-del? des personnes ou des groupes directement concern?s par elles. Ces cons?quences sont jug?es nuisibles par ce qui s’organise alors en ? public ?, articulant le probl?me et exigeant que ces cons?quences deviennent un ’probl?me public’, renouvelant ainsi les responsabilit?s de ce qui porte le nom d’Etat. ? Un public articul? et op?rant par le biais d’officiers repr?sentatifs est l’Etat ; il n’y a pas d’Etat sans gouvernement, mais il n’y en a pas non plus sans public ? .
La deuxi?me proposition concerne la m?thode requise par cette perspective de l’?mergence: l’exp?rimentation. ? La formation des Etats doit ?tre un processus exp?rimental ? . La politique comme exp?rimentation est une occasion, ? chaque fois locale et concr?te, ouverte par un public naissant autour d’un probl?me. La singularit? de cette naissance appelle des conditions d’enqu?te toujours sp?cifiques qui portent sur les activit?s associatives, les effets qu’elles produisent, les probl?mes qu’elles posent, et les possibilit?s d’en rediriger les issues. Cette enqu?te conduit, par l’?valuation et la construction du probl?me public au travers desquelles un public s’identifie, se constitue et s’engage dans des apprentissages collectifs, ? redessiner la ligne de d?marcation, mobile, entre les affaires laiss?es ? l’initiative priv?e et celles qui sont r?glement?es par l’Etat. Et ? comme les conditions (…) d’enqu?tes (…) sont (…) changeantes, l’exp?rimentation doit ?tre reprise, l’Etat doit ?tre red?couvert ? . L’organisation d’un public naissant, amorphe et informe, ? en un Etat d?pend de l’aptitude ? inventer et ? employer des dispositifs instrumentaux sp?cifiques ? ? m?me de lever les obstacles ? sa participation politique pour chaque nouveau probl?me.
Dewey affirme que l’exp?rimentation politique doit ?tre mise en œuvre par des chercheurs en sciences sociales - l’Etat et le public en ?tant incapables.
En effet, les m?canismes ?tatiques, ?labor?s et institutionnalis?s autour de probl?mes publics auparavant construits, fonctionnent sur le mode de l’habitude, laissant le domaine public tendre ? n’?tre ? qu’un autre business ? , une affaire de gestion des tendances stabilis?es. Le public qui a pr?c?demment permis l’?mergence de la forme actuelle de l’Etat lui a accord? sa confiance et s’est diss?min? autour de multiples int?r?ts priv?s. Lorsqu’un nouveau public surgit, encore informe autour d’un probl?me encore inarticul?, il n’existe aucun organisme apte ? canaliser cette nouveaut?. Bien plut?t, ? pour se former lui-m?me, le public doit briser les formes politiques existantes ? , puisqu’en se pr?sentant comme seules formes possibles, elles font obstacle ? leurs mutations et emp?chent la formation d’un nouveau public, tendant ? l’informer plut?t qu’? laisser na?tre une forme in?dite. L’?clipse du public t?moigne effectivement de ce que manquent les processus de productions de connaissance qui permettent de passer des cons?quences indirectes ressenties ou subies, dont des publics dispers?s, des individus, font l’exp?rience sur un mode empirique aux cons?quences indirectes per?ues ou connues . Tant que les cons?quences indirectes ne sont pas connues, c’est-?-dire r?f?r?es ? leurs origines de fa?on telle qu’elles puissent ?tre orient?es vers de nouvelles exp?riences vis?es, aucun public ne peut se former en s’identifiant autour d’un probl?me.
Si la possibilit? de l’?mergence de nouvelles formes d’Etat, de nouveaux probl?mes publics, est l’effet vis? par l’exp?rimentation politique, un public participant ? l’?laboration des connaissances requises par tel probl?me toujours sp?cifique est l’?v?nement causal qu’il s’agit de convoquer dans cette exp?rimentation, de produire et de faire advenir alors m?me qu’ ? il r?pond ? la convocation ? . ? Le probl?me d’un public d?mocratiquement organis? est avant tout et essentiellement un probl?me intellectuel ? , en ce que ce sont les associations humaines, et leur multiple modes possibles, autour de probl?mes toujours concrets qu’il s’agit de penser et d’exp?rimenter. En elles, chaque individualit? doit ?tre suscit?e dans des processus d’individuation o? ses puissances la rendent capable de participer de fa?on int?ress?e ? la fabrication des connaissances ? faire compter dans la formation du probl?me public. Il s’agit de penser ? les forces qu’il faut composer (…) avant qu’une action technique et sp?cialis?e puisse entrer en jeu ? . Une m?me question est ? chaque fois repos?e: Comment composer et organiser de multiples actions individuelles - d?sirs, pens?es, croyances - dans des apprentissages collectifs autour d’un probl?me unique, ?tant donn? que des modes d’association d?pend la qualit? des modes d’individuation ? Les chercheurs en sciences sociales, auxquels Dewey confie la t?che de l’exp?rimentation politique, pourraient d?s lors ?tre tous ceux, sans distinction ?tanche entre profanes et savants, qui s’int?ressent ? exp?rimenter ces modes de compositions contingentes et ? stabiliser des hypoth?ses d’action pour des exp?riences associatives futures.
Promouvoir une exp?rimentation qui soit politique revient ? prolonger la logique exp?rimentale ayant fait les succ?s des sciences physico-math?matiques , en la sp?cifiant pour les affaires humaines par la m?thode que Dewey nomme ’enqu?te’: le processus de connaissance sp?cifique aux affaires humaines par lequel, ? partir d’exp?riences (empiriques) pr?c?dentes, propres aux interactions de tout ?tre vivant avec son milieu, un rapport est activement construit entre le faire de l’exp?rience et ses cons?quences . Au fil de ce processus, les exp?riences (empiriques) pass?es entrent dans un libre jeu d’ind?termination quant ? ce vers quoi elles pourraient tendre pour le futur, et sont identifi?s des facteurs ? stabiliser ou ? ?carter pour des hypoth?ses ? mettre au travail dans des exp?riences ? venir. Affirmant un lien intrins?que entre les moyens et les fins de la politique, entre les exigences politiques d’associations et les exigences ?thiques d’individuation, la politique comme exp?rimentation refuse toute possibilit? d’expertise technique qui resterait ext?rieure aux probl?mes concrets des humains, ? r?soudre dans les environnements o? ils vivent et agissent.
Dewey nous a appris que nous ne savons pas ce qu’est un public participatif en g?n?ral, ce qu’il peut en soi. Ses puissances sont produites dans l’?v?nement m?me de sa convocation dans des dispositifs sp?cifiques. Sans eux, il est tout au plus atmosph?rique.
? Atmosph?re, atmosph?re, est-ce que j’ai une gueule d’atmosph?re ? ? . Non, une atmosph?re n’a pas de visage, mais une atmosph?re est ce quelque chose dont la pression est continue. Un public atmosph?rique est ? la fois absent et pr?sent. Absent lorsqu’on tente de le capturer comme un tout ou comme l’addition de parties individuelles. Pr?sent dans chacune de ses pressions, de ses actions, de ses actualisations.
Autour des OGM, il est d’abord accus? de d?noncer aveugl?ment. Et un moratoire est obtenu en Europe, soutenu par des scientifiques. Il s’int?resse ensuite aux modes de fabrication, scientifique et politique, des OGM, critique l’h?g?monie de la biologie mol?culaire dans les expertises scientifiques. Et l’?tendue des probl?mes pris en compte dans les expertises s’accro?t, incluant les perspectives scientifiques de l’?cologie et des environnementalistes . Il continue en condamnant l’opacit? du march?. Et la lab?lisation des produits contenant des OGM est organis?e. Il poursuit encore en emmenant la question de la globalisation, en d?truisant des champs d’OGM. Le long de ses processus d’apprentissage, il change en toute situation, il reste impossible ? situer d?finitivement, ? capter ou ? satisfaire. Impr?visible et turbulent, on ne peut l’identifier au travers d’une voix bien d?finie. Il est compos? de relations, d’affections, de processus d’individuation plut?t que d’?l?ments stables. Sa pression esquive toute repr?sentation. Ses pouvoirs virtuels affectent le pr?sent comme une menace ou comme une esp?rance, produisant des effets actuels. R?activ? dans chaque action, actualis? dans le temps et l’espace particuliers d’un probl?me sp?cifique, sa pression constante agit comme une cause virtuelle ou une quasi-cause, dans les termes du philosophe Brian Massumi . Il remplit le pr?sent mais sans se pr?senter comme un tout homog?ne que l’on pourrait convaincre ou comme une cause stable ? partir de laquelle d?duire une transformation pr?d?finie. Atmosph?rique, fluctuant et instable, sa pression est continue, sur les stables institutions ?tatiques tout aussi bien.
Autour des OGM, un public atmosph?rique europ?en est entr? en turbulence. En r?ponse ? cette turbulence, et afin de la r?duire, des dispositifs publics s’organisent autour de causes finales qui contraignent par avance ce que doit ?tre un public et le probl?me autour duquel il se rassemble. Ainsi des sondages ’eurobarom?tres’ de la Commission europ?enne : pr?d?finis comme des faits stabilis?s ? partir desquels homog?n?iser toute donn?e, les OGM sont des produits d?sirables pour le progr?s de l’Europe, et le public est form? par l’ensemble des consommateurs rationnels ou des ignorants ? ?duquer. Par contraste, le projet de recherche ’Perceptions publiques des biotechnologies agricoles en Europe’ fabrique un dispositif d’apprentissage collectif qui offre un mode d’actualisation pour un public atmosph?rique ? rendre participatif et un sens contemporain au dispositif d’enqu?te con?u par Dewey.
Trois caract?ristiques principales sont suffisamment remarquables pour reconna?tre les traits d’une exp?rimentation politique. Premi?rement, les auteurs identifient certains objectifs l?gislatifs dans la promotion d’une telle recherche, refusent d’y satisfaire , mais les int?grent comme parts du probl?me coupl? de la perception du public et de la conception de leur enqu?te. Afin que cette derni?re puisse contribuer positivement ? l’?laboration des politiques publiques, elle ne consid?re aucune entit?s stables qui pr?-existeraient au probl?me ? traiter, tels les OGM comme objet pr?d?fini de la perception publique ou ? le public ?. L’objet et le sens des perceptions du public, les significations que les individus donneront ? ce qu’ils sont en tant que public pour les OGM et ? ce que sont les OGM pour ce public, sont pr?cis?ment ce qui est explor? et co-construit au fil de cette enqu?te. Les preneurs de d?cisions doivent conc?der que ce n’est peut-?tre pas le public qui a besoin d’?tre inform? ou r?form?, mais la nature de ce qui est suppos? accept? : la technologie en jeu, la pratique institutionnelle qui la supporte et les processus d’innovation technologique sont ins?parables.
Une seconde caract?ristique de ce dispositif est qu’il affirme l’existence positive des perceptions comme une capacit? commune partag?e ? la fois par les citoyens ordinaires et les acteurs de la controverse. Sont d?s lors analys?es tout autant les perceptions que les parties prenantes ont du public pour les OGM et les perceptions que les citoyens ordinaires ont des OGM. La comparaison de ces analyses offre des r?sultats frappants. Au sein de focus groups, les citoyens prennent avantage de ce dispositif d’apprentissage collectif pour penser et apprendre ? propos du d?bat autour des OGM, transformant et compliquant leurs perspectives et leurs perceptions. Au fil des analyses de documents, des entretiens et des observations participantes, les experts, quant ? eux, expriment des conceptions retranch?es et persistantes. Il y a effectivement une mauvaise perception des probl?mes, mais elle n’est pas o? l’on croit .
Et troisi?mement, cette enqu?te s’adresse ? des ?tres pensants, intelligents et cr?atifs, dont les puissances participatives sont convoqu?es dans ce dispositif d’apprentissage collectif . La m?thode des focus groups est choisie et adapt?e afin de conf?rer des pouvoirs nouveaux aux personnes interrog?es : en supportant la confiance dans leur propre connaissance et encourageant la production de nouvelles connaissances int?ress?es et int?ressantes. Et les r?sultats sont ? la hauteur de la convocation : des connexions nouvelles et des significations associ?es permettent d’estimer de nouveaux probl?mes pos?s par les OGM, de nouveaux savoirs sont d?velopp?s ? partir des exp?riences empiriques des participants.
Ce dispositif d’intelligence collective r?ussit ? stabiliser les conditions favorables ? l’?mergence d’un public participatif pour les OGM, tendant ? faciliter l’expression et l’articulation du plus grand nombre de ses dimensions possibles, de ses parties h?t?rog?nes et changeantes. Il offre aux individus l’occasion de s’engager dans des processus d’individuation au cours desquels ils red?finissent le probl?me en main en se formant comme public pour les OGM. Dans ce dispositif local d’enqu?te, une sph?re d’exp?rimentation fut organis?e autour de modes de composition possible d’un public participatif pour les OGM, pla?ant la controverse publique au centre de la fabrication de nouveaux probl?mes publics .