In this very short tribune that was asked to me by the Cercle Libre du Jeune Barreau in Liège, I try to cope with a oversimplified resume of Isabelle Stengers’ concept of practice in order to come out with some interesting results for what concerns the lawyers. Well... See for yourself.
Qu’est-ce qu’une bonne pratique du droit ? Dans un entretien r?cent(1), Isabelle Stengers tentait d’assumer cette question jusqu’au point o? celle-ci, peut-?tre, permettrait de lib?rer du neuf quant ? la compr?hension de la pratique du droit. Que disait Isabelle Stengers ? D’abord, que la d?finition d’une pratique comme bonne ne constitue pas un acte de jugement. Dire d’une pratique qu’elle est bonne ne constitue pas la pr?rogative de celui qui saurait ce qu’est une bonne pratique, et qui se trouverait ainsi dans la position de v?rifier la satisfaction que cette pratique remplirait quant ? ces crit?res. Dire qu’une pratique est bonne, pour Isabelle Stengers, r?pond ? un tout autre ordre de questionnement. Cet ordre, c’est celui des contraintes de cette pratique. Ses contraintes, c’est-?-dire ce qui oblige les praticiens vis-?-vis de cette pratique - c’est-?-dire aussi ce que les praticiens exigent pour pouvoir se pr?senter comme tels. Obligations et exigences constituent, pour Isabelle Stengers, les deux types de contraintes par lesquels une pratique peut se permettre de se pr?senter aux autres sans les regarder de haut. Ils constituent l’ensemble de ce pourquoi une pratique peut pr?tendre se pr?senter comme int?ressante : comme susceptible d’int?resser, de cr?er des liens d’int?ressement vis-?-vis des autres pratiques. Les obligations et les exigences ne forment pas le cahier des charges par rapport auquel les praticiens seront jug?s : ils d?finissent l’ensemble des ?preuves par lesquelles passe un praticien pour produire un ?v?nement digne d’int?r?t - digne de l’int?r?t de ses pairs, et puis aussi de celui de tous les autres.
Quelles sont les contraintes du droit ? Quelles sont ses obligations, et ses exigences ? La question m?rite d’?tre pos?e ? nouveau. Pourquoi ? Parce que les juristes en sont encore ? croire que leur pratique se r?sume ? la mise en œuvre de son objet : les juristes en sont encore ? croire que la pratique du droit se r?sume ? pratiquer le droit. Alors que rien n’est plus faux. Le droit n’existe pas. Il n’existe pas en-dehors de la pratique qui parvient ? le faire exister gr?ce au fait de se reconna?tre comme tenue par ses obligations et ses exigences. Le droit n’existe pas en-dehors de sa pratique : en-dehors des contraintes de la pratique du droit. Ce qui signifie aussi que le droit n’est pas plus une des contraintes de la pratique du droit qu’il n’est son objet. Les contraintes de la pratique du droit passent ailleurs que dans la d?finition d’un objet : elles passent pour l’avocat, par exemple, dans la d?ontologie. La d?ontologie ? Oui. Le r?pertoire des bonnes mani?res de faire par lequel un avocat peut se pr?senter aux autres comme tel. Mais la d?ontologie peut aussi ?tre tout le contraire d’une contrainte : lorsqu’elle devient la r?gle qui fonde un ordre - par exemple l’Ordre des avocats - avec son cort?ge de proc?dures d’inclusion et d’exclusion. Dans ce cas, la d?ontologie n’est plus ce qui oblige l’avocat - il est ce qui l’autorise ? exclure autrui de sa pratique. La d?ontologie devient l’instrument d’une police de la pratique, une police qui ne cesse de traquer les voix d?viantes pour les r?duire au silence. Les bonnes mani?res de faire deviennent alors une bonne mani?re d’?tre. La pratique du droit des avocats se r?sume ? ?tre un avocat.
Pratiquer le droit lorsqu’on est avocat ne se limite donc pas ? observer la d?ontologie ou ? s’informer toujours plus avant du contenu du droit. Celui qui passe son temps ? observer les r?gles de d?ontologie, ou celui qui n’a de cesses d’avoir assist? ? l’ensemble des cycles de formations continue qui se proposent aux professionnels, n’a encore rien fait. Il n’a pas encore commenc? ? faire de sa pratique quelque chose qui compte. Quelque chose qui le met en position de faire la diff?rence - c’est-?-dire de r?pondre des contraintes qui l’obligent autrement que sous la forme d’un satisfecit : d’un sans faute. Que signifie ? faire la diff?rence ?, en droit ? Cela d?pend. Isabelle Stengers, dans le m?me entretien, pr?cisait que, pour elle, faire la diff?rence lorsqu’on pratique le droit d?pend de l’imagination de celui pour qui le droit ne se d?finit pas par sa cl?ture. En effet, on pr?sente souvent le droit comme le reflet de la vie sociale. Pour le praticien du droit, cela est risible. La vie sociale n’est pas une donn?e dont le droit se ferait l’?cho normatif. Dans ce cas, le droit se limiterait ? changer l’op?rateur d?ontique de la r?alit?. Il se contenterait de faire du r?el une n?cessit?. N?cessit? fait loi ? Ce serait la devise de celui qui pratiquerait le droit en le consid?rant comme cette chose ferm?e qui se ferait l’?cho de la vie sociale. Pour celui qui, ? l’inverse, penserait sa pratique comme une pratique ouverte, la diff?rence entre le droit et la vie sociale ne compterait plus. Faire la diff?rence, pour lui, signifierait autre chose que tenter de donner voix, ? dans ? le droit, ? ce qui se dit dans la soci?t?. Pour lui, la pratique du droit ne serait pas une pratique du rabibochage du droit et de la soci?t? sous les auspices de la justice, de la morale, de l’?conomie ou de la politique. Ce n’est pas cela, faire la diff?rence.
Faire la diff?rence, dans la pratique du droit, pourrait ?tre, par exemple, choisir autrement ses clients. Ce serait refuser des clients. Ce serait leur dire que leur probl?me n’est pas forc?ment un probl?me juridiquement int?ressant - mais un probl?me humainement, psychologiquement, socialement int?ressant. Un probl?me qui r?pond ? un autre r?gime d’exigences que celui du droit : celui de la lutte politique, de la psychologie ou de la religion. Refuser un client, ce serait lui dire que ce qu’il consid?re comme son probl?me appartient peut-?tre ? un meilleur r?gime de parole : un r?gime de parole dans lequel son probl?me pourrait enfin exister comme un probl?me - et non pas comme une bataille qu’il s’agirait de perdre ou gagner. Pratiquer le droit, ce n’est pas jouer le th?rapeute de substitution ou l’arbitre de duels. Faire la diff?rence, dans la pratique du droit, cela pourrait ?tre aussi - et ? l’inverse - sugg?rer des recompositions de probl?mes. Ce serait red?finir la part du droit ? l’int?rieur de probl?mes qui pourraient concerner bien davantage la politique ou l’?conomie. Ce serait, par exemple, pour un juge, se d?clarer incomp?tent face ? un minist?re public dont le seul souci serait de faire ?tendre ? un cas nouveau une loi pr?vue pour un autre - au m?pris de la singularit? de ce que ce cas non seulement serait capable de produire juridiquement, mais aussi de ce que sa mise en proc?s implique, par exemple, politiquement. Recomposer les probl?mes, ce serait faire la diff?rence en tant que la fid?lit? vis-?-vis des obligations de la pratique du droit ferait de l’imagination autre chose qu’un outil strat?gique pour gagner ou perdre : autre chose qu’un simple machiav?lisme de la r?gle pour des raisons de jeu judiciaire.
Faire la diff?rence, en ce sens, ce serait ? nouveau tenter de rendre le droit int?ressant pour les autres - plut?t que pr?tendre proclamer les retrouvailles du droit avec une vie sociale qu’il laisserait pourtant ? sa porte. Faire la diff?rence reviendrait ? en finir avec toutes ces accusations d’autisme, de jargon, d’arrogance que les juristes tra?nent derri?re eux, comme des chiens de rue. Cela reviendrait ? redonner au droit sa part ? l’int?rieur des probl?mes qui se posent ? lui : il n’y a pas de probl?mes juridiques. Il y a des probl?mes ? l’int?rieur desquels le droit constitue un ?l?ment int?ressant - mais qui a ? ?tre d?ploy? comme int?ressant. Op?rer ce d?ploiement constituerait, dans ce cas, une forme d’id?al intellectuel, qui serait par exemple l’id?al de la th?orie du droit. Mais un id?al concret : un id?al qui concernerait la pratique du droit, les diff?rentes pratiques du droit, comme les requ?rant en leur cœur m?me - les requ?rant afin qu’elles se pr?sentent, enfin, pour ce qu’elles sont. Cette requ?te, ce serait celle de la bonne pratique du droit.
Note
(1)Cf. I. Stengers, ? Une pratique cosmopolitique du droit est-elle possible ? Entretien avec Laurent De Sutter ?, in Pratiques cosmopolitiques du droit, sous la direction de F. Audren et L. De Sutter, Cosmopolitiques, n?8, 2005, p. 14 ? 33.
Intéressant.
"Suggérer des recompositions des problèmes". La formulation est jolie par son paradoxe. Aucun acteur du "jeu judiciaire" ne suggère quoi que ce soit. Il "dit". Ce sera (re)pris ou non (par le juge, ou du juge par la Cour d’appel...). Ou repris par le politique quand le droit a été mis volontairement dans l’impasse comme lors des procès "avortement" ("l’état de nécessité" a été utilisé pour mettre le droit dans l’impasse (un article du code pénal réprimant explicitement l’avortement et des juges qui acquittent), et relier, renvoyer au politique). En fait, la différence entre le "rabibochage" et la "recomposition" n’est pas si aisée à manier.
Merci Daniel. Rabibochage et recomposition : je n’avais même pas fais gaffe. Mais pour te répondre à partir du cas "avortement" que tu cites, je te dirais que je ne vois de problème dans ce cas qu’en tant que la politique a constitué un alibi pour que permettre aux juristes de s’en laver les mains. Le problème commence en effet lorsque la politique et le droit sont présentés comme étrangers l’un à l’autre. Au pire, la rencontre entre droit et politique prend alors la forme de l’affrontement - au mieux, du "rabibochage". "Recomposition", au contraire, suggère que le premier ingrédient d’une bonne prise en charge d’un problème comme celui de l’avortement est l’affirmation du fait que, oui, il y a bien de la politique partout dans la législation sur l’avortement, et que cette politique, le juge ne peut pas l’ignorer - il peut juste la traiter à sa manière. Mais, donc, il doit la traiter, pas s’en servir comme un alibi. Does it make sense ?