The discussion about "La fabrique du droit" goes on. In this text Bruno Latour further elaborates his views upon the law and upon Serge’s and Daniel’s remaining perplexities.
Note sur le compte rendu de Serge apr?s le 5 f?vrier
Merci ?galement ? tous et plus particuli?rement ? Serge d’avoir pris aussi au s?rieux ce petit livre et notre bonne discussion, tr?s typique en effet de ce qu’on peut imaginer du PAI.
Je voudrais revenir sur la distinction entre l’Enonciation droit que j’appelle encha?nement et que Serge, puis Daniel, appellent ’micro-droit’.
Peut-?tre qu’un parall?le para?tra ?clairant. Si vous lisez un roman, vous n’aurez pas de peine, je crois, ? distinguer le cours du r?cit, ce qui arrive aux personnages, les rebondissements de l’intrigue et, d’autre part, un probl?me toujours sous-jacent ? ce que vous lisez et ? ce qui arrive quand vous racontez ? d’autres ce que vous avez lu: c’est un roman, c’est de la fiction. Autrement dit, pour vous faire comprendre et pour pouvoir lire, il faut qu’il y ait une ’clef’ de lecture, une forme particuli?re d’envoi, qui accompagne tout du long le r?cit et qui vous permet de r?gler en continu le type de v?ridiction dont il s’agit, qui diff?re justement de l’histoire elle-m?me mais qui permet de cadrer le type de v?rit? attendu de l’histoire (et c’est bien un type de v?rit?). On comprend bien sur ce cas qu’il y a bien une diff?rence ?norme entre le r?cit et l’?nonciation que j’appelle Fiction. Et pourtant, il va de soi que l’on ne peut pas lire le r?cit sans ?tre ’envoy?’ -c’est le sens premier du mot ?nonciation- par la clef musicale Fiction, sans cela on ne comprend rien, bien que, lorsqu’on a seulement la ’clef’ on n’ait absolument aucune information sur le r?cit.
Eh bien il en est de m?me me semble-t-il en droit. Ce qui m’a int?ress? dans le dernier chapitre de cette Fabrique, c’est d’isoler l’?nonciation Droit ou Attachement, peu importe, comme il a int?ress? les s?mioticiens d’extraire l’?nonciation Fiction des th?ories du r?cit. Mais cela ne veut nullement dire qu’elle explique l’institution juridique celle qui, avec raison, int?resse Serge, Daniel et Laurent -et beaucoup d’autres (l’institution, dans ce parall?le, joue le r?le de la multitude des r?cits et des th?ories litt?raires ?tudi?s par les narratologues). En m?me temps, cela ne veut pas dire que l’?tude de l’Enonciation Droit serait ’petite’ par rapport ? la ’grande’ analyse de l’institution. Le rapport n’est pas, en effet, du petit au grand, mais de la clef de lecture ? ce qui est dit ou lu. Je pr?tends donc avoir extrait (essay? d’extraire) une forme de v?ridiction inhabituelle et injustement trait? (m?me par les juristes trop habitu?s ? elle) qui donne ’tout son sens’ ? la totalit? des actes, textes, institutions que l’on appelle ’juridiques’. En ce sens, je pr?tends avoir offert une explication possible ? la constante ’tautologie’ des d?finitions du droit, tautologie qui frappe autant les sp?cialistes que les outsiders: la tautologie vient de ce que l’on ne comprend rien ? un acte quelconque de l’institution juridique, si l’on n’ajoute pas cette clef de lecture: attention, ce que vous allez lire ou entendre, c’est du Droit et non pas de la fiction, de la politique, etc. Cette clef de lecture est fournie par l’analyse obsessionnelle de l’Enonciation Droit. A ma connaissance (affreusement limit?e je le reconnais), elle n’avait pas ?t? extraite de fa?on claire jusqu’ici.
Cet argument permet peut ?tre de d?partager Serge et Daniel sur la question de savoir s’il ya du droit ’partout un peu’ ou s’il existe seulement au tribunal, sous ?preuve, dans l’institution dite Juridique etc. Or l? encore, le parall?le avec la narratologie peut ?tre utile: il y a de la fiction chaque fois qu’un p?re se met ? dire ? sa fille qui ne s’endort pas ’il ?tait une fois’ et commence une histoire ? dormir debout. Pourtant, on n’a pas de peine ? distinguer ces ?nonc?s ?pars et quotidiens de l’institution litt?raire qui concernerait l’organisation des prix litt?raires, le Goncourt, Gallimard, l’?dition, Vivendi, les critiques etc. De m?me, ? chaque fois qu’un gamin dit ’t’as pas le droit de me piquer mes billes’, il engage dans la discussion qui va commencer sur les r?gles du jeu de bille, un type de v?r?diction qui suppose une lecture particuli?re de ce qui va suivre -et qui va diff?rer si la discussion finit par un oeil au beurre noir… Pourtant, il n’y a l? (encore) ni proc?s verbaux, ni juge, ni avocat en robe, ni code civil etc. Il y a donc bien du Droit dans la fa?on que le passager ? d’objecter ? Isabelle qui refuse de mettre sa ceinture. Mais il y aussi beaucoup d’autres formes d’?nonciation possibles de ce m?me comportement et il est bien vrai que l’on peut remonter de la ceinture ? l’institution par plusieurs conduits. Par exemple, comme je l’ai fait ailleurs, par l’institution technique qui permet de forcer isabelle ? ne plus se poser le probl?me en asservissant le d?marrage de sa voiture au signal ?lectrique d?clench? par le bouclage de la ceinture… Une autre Enonciation cette fois Technique qui donne une autre v?r?diction ? une autre institution.
Cela m’am?ne ? la question de Serge sur le caract?re europ?en ou ethnocentrique en tous cas du droit. L? encore, la comparaison avec la fiction est utile. Il ne servirait ? rien de dire que ’toujours de tous temps les hommes ont racont? des histoires’, car la forme originale qu’? prise en Occident la litt?rature et en particulier le roman a ?t? ?tudi?e par des centaines d’historiens -Pavel encore r?cmment dans sa magistrale Th?orie du roman-. Donc il est ? la fois vrai de dire ’tout le monde partout’ et ’personne nulle part sauf nous’. Comme je crois que l’admet maintenant Serge, le Droit a une forme particuli?re d’ethnocentrisme puisqu’il est moins difficile que pour toutes les autres v?ridictions de reconna?tre ? la fois que ’les autres ont aussi du droit’ et qu’il est pourtant ’diff?rent du n?tre’. Ce que nous appelons l’originalit? du droit de l’Etat de droit est clairement un hybride de politique, de morale, de religion, d’organisation etc. qui r?sume la forme europ?enne du vivre ensemble. En extraire le r?le particulier ’binding’ du droit l? dedans d?passe mes capacit?s, mais il n ’y aurait pas de sens, ?a j’en suis s?r, ? r?sumer tout l’ensemble de l’Etat de droit par l’expression ’c’est cela le Droit’.
C’est ? ce point que mon effort pour d?b?ter l’?ne charg? de relique rejoint vos pr?occupations. De faisons pas porter au droit -enonciation et institution- des formes de regroupement et de composition qu’ils sont s?rs de ne pas pouvoir porter. Par exemple: impossible de r?sister au nazisme en s’appuyant seulement sur la fragile barri?re du droit (de m?me le Conseil d’Etat encaisse sans sourciller les lois sur les juifs mais fait le ’m?me travail’ avant et apr?s). N’esp?rons pas, de ce point de vue, faire de l’institution juridique une ’m?diation’ entre le pouvoir et la soci?t? car une telle formulation dissimule des formes d’agr?gation, de liaison, de contamination, de composition tellement diff?rentes que l’on ne saura plus ? quel saint se vouer -on finira comme Legendre par faire d?pendre l’humanit? elle m?me de la Loi (confondue avec Lacan…).
Je reconnais que cette derni?re formulation n’est plus en accord avec le PAI rappel? par Serge au d?but (et que j’ai en effet approuv? tacitement en entrant dans le projet…). Mais c’est parce que je suis d’accord en premi?re approximation avec Serge et que m?me un biologiste mol?culaire parle ’d’estomac’ et de ’fonction chlorophylienne’ tout en sachant parfaitement que, s’il devait les ?tuider en toute rigueur, il devrait en passer par un tout autre vocabulaire et par de tout autre agents. Mais l? nous changeons de probl?me et passons de la question du Droit ? la th?orie sociologique elle-m?me. De ce point de vue, mais de ce point de vue seulement, je pense que la formulation de ’t Hart est fondamentalement fausse, l’insitution juridique n’est pas une ’m?diation’ entre d’autres sph?res du monde social, pour l’excellent raison que les institutions n’existent pas sous le mode de la sph?re, du domaine, de la r?gion, etc. mais sous le mode de l’enveloppe -? la Sloterdijk- ou du r?seau -? la Tarde. Cela ne m’emp?che pas de comprendre ce que veut dire Serge, mais si nous devions ?tudier en toute rigueur, l’institution juridique, il deviendrait capital de distinguer dans ce bric ? brac qui la compose les types de transmission dont d?pend son maintien dans l’existence; d’immenses portions de r?seaux d?pendent en fait, pour leur solidit? et leur durabilit?, de la morale, de la politique, de la technique, de l’?conomie etc. autant que du type d’attachement et de v?hicule du droit ’proprement dit’. Le but de ces distinctions ?tant de ne pas attendre du ’cable’ droit ce que seul le cable ou le fil politique, par exemple, peut donner. La d?nonciation critique se nourrit usuellement de ces absences de distinction puisque, en face du bric ? brac, elle a beau jeu de dire: regardez tout cela c’est ’aussi’ de la politique, des rapports de force, de la pure fiction. Eh oui bien s?r, l’institution n’existerait pas sans cela, mais chaque type de transmission, n?anmoins, ob?it ? une forme particuli?re de v?rit? qu’il faut respecter.
Voil? peut ?tre de quoi expliquer pourquoi Serge est encore ’sur sa faim’ et donc, comme il le dit fort joliment, ’en app?tit’, car je ne crois pas qu’il y ait un lien direct entre le droit comme ?nonciation et l’?tat de Droit et pourtant il serait beaucoup trop simple de ’ranger’ la question de l’?nonciation et de maintenir la th?orie du droit comme ’m?diation’. Je ne me suis permis de proposer ce d?gagement de l’?nonciation droit que parce qu’elle est une cons?quence directe d’une th?orie du social comme association. Imaginez un jeu de L?go qui au lieu de la seule accroche par les quatre plods traditionnels en aurait plusieurs. Imaginez ensuite que chaque attache rende plus facile ou plus difficile les autres attaches. Admettez maintenant que certains blocs de ce jeu de L?go un peu particulier s’attachent par la connection DRO et d’autres par la connection POL. Les blocs eux m?mes sont de formes multiples (comme les r?cits tout ? l’heure). Maintenant l?chez des gamins dans ce jeu. Ils vont produire des formes -des institutions- dont des segments plus ou moins longs seront dits DRO parce que l’attache est de type DRO alors m?me que le m?me bloc peut ?tre repris, selon un autre segment, par l’attache POL. Dans l’ensemble bigarr? produit on pourra dire, selon l’intensit? des liens, "l? c’est plut?t quand m?me en gros du droit", "l? c’est plut?t quand m?me du politique". Ce sera toujours faux bien s?r puisque les blocs sont divers, h?t?rog?nes etc. de couleurs vari?s, et pourtant ce ne sera jamais tout ? fait faux car la ’dominante’, pour parler musique, sera bien donn?e par un type particulier d’attachement ou d’?branlement.
Avant que j’aie des ennuis pour non respect du port de la ceinture de sécurité, je rappelle que l’exemple portait sur les habitudes : comment j’en ai pris l’habitude au sens où sans elle je me sens en insécurité, après l’avoir (finalement) mise pour éviter des ennuis : il me semble que là, non, j’étais hors droit mais néanmoins dans ce qu’il présuppose, c’est-à-dire que les infractions sont de l’ordre de l’exception, ou vont le devenir. Le droit fait appel à quelque chose qu’il ne peut commander, qu’on pourrait appeler "moralité", mais au sens de "conduite" - quitte, cf. Richard Fourniaux qui dit "je suis comme tous les belges, je n’aime pas payer mes impôts" - à ce que certains prennent le risque de plaider la légitimité d’une autre conduite.
Nous sommes, comme citoyens tout plissés de "conduites" sans lesquels la droit perdrait prise (plutôt que "sujets de droit") : intérêt de voir comment une loi tombe en désuétude (exemple : l’avortement conçu comme légitime bien avant la loi, le cannabis aujourd’hui ? )
Deuxième point : entre "médiation" et "énonciation" : un point névralgique n’est-il pas la différence entre les lois "inapplicables" et celels qui le sont. La médiation n’est-elle pas partie prenante de l’écriture des lois (intention politique) et ne faudrait-il pas s’attacher à l’étude des contraintes que les juristes opposent au politique(ou pas)- cela on ne saura pas faire...
Donc le fait que le droit puisse être conçu comme médiation ne lui appartiendrait pas, mais il ne serait pas non plus un "instrument" indifférent à tout projet politique : c’est là que l’"épreuve" du tribunal intervient pas forcément concrètement mais comme ce en référence à quoi les juristes seront obligés d’objecter (même s’ils partagent le projet politique) : "ce n’est pas si simple".....
Just a very short comment. I find the discussion very interesting, though we seem to speak different languages.
Could it be the case - as we seemed to have concluded at our meeting 5th Feb. - that Bruno discusses the constitutive features of the law (in which case do we recognize an action as legal, or which aspect of an action do we hold to be legal), while for the lawyers this is part of their thinking - part of their implicit and tacit knowledge?
To me law is neither good not bad, but nor is it neutral. (I borrow this statement from a certain Kevin Kranzberg who said the same about technology)
This means first of all that law has a real impact on the lives of humans (and non-humans as well). Our concern with the law - with regard to our PAI - is how to reconceptualise and reorganise it in such a way that it can better deal with the impact of the technosciences. How to bring the technosciences under a democratic rule of law, or - less pretentious: where can we detect laws/judgements that actually demonstrate the construction of relevant publics, the civilisation of scientists, the taming of predatory capitalism etc.
Could it be that at that point our legal interest meets with ’politique de la nature’, rather than with the beautiful ’fabrique du droit’?